Commentaire de la peinture "Married to Nature, 2000" de Viggo Mortensen
(in SignLanguage, p.70)
« Je ne sais pas d’art qui puisse engager plus d’intelligence que le dessin. Qu’il s’agisse d’extraire du complexe de la vue, la trouvaille du
trait, de résumer une structure, de ne pas céder à la main, de
lire et de
prononcer en soi une forme avant de
l’écrire ; ou bien que l’invention domine le moment, que l’idée se fasse obéir, se précise, et s’enrichisse de ce qu’elle devient sur le papier, sous le regard, tous les dons de l’esprit trouvent leur emploi dans ce travail, où paraissent non moins fortement tous les caractères de la personne quand elle en a. »
Paul VALERY in
Degas, danse, dessinAvant propos : Impressions premièresMarried to nature est une fête de l’œil, composition buccolique aux accents pastels, apaisants.
Une peinture qui plaît à cet œil séduit par la douceur et l’harmonie générale qui s’en dégage.
Un excellent objet d’étude en somme qui va mettre au jour de nouvelles pièces s’ajoutant elle-même au grand canevas de la création artistique estampillée VM.
J’ai choisi de diviser cette modeste étude en trois points, correspondants aux différentes lignes de lecture que semblent nous proposer l’auteur de la toile.
I – Disposition générale des différents composants L’on peut penser que « la toile » est en réalité un mur fortement ébréché en son centre de sorte qu’un trou y est apparu. Matériau brut, artificiel puisque né de l’homme, produit de la civilisation des villes que VM va "renaturiser" en y ajoutant fleurs, volutes et cercles agréablement colorisés.
A droite, collage ou peinture ? Je ne peux le déterminer. Ce pourrait être une seconde représentation - incursion - de cette civilisation s’ouvrant sur un ciel bleu sous lequel il me semble distinguer une habitation à fenêtres : caravane comme me l’avait dit Waé ou construction en dur, je ne peux là non plus émettre une opinion sûre...Reste au premier plan, ce que j’imagine être la côté droit d’un personnage en superposition avec la construction susvisée.
II – La préeminence de l’élément naturelMarried to nature = Une ode discrète à la nature.
Comme je l’ai déjà indiqué, les composants naturels viennent recouvrir le matériau de départ que VM a choisi pour créer.
Un bouquet de fleurs marque le tableau dans toute sa hauteur.
Puis vient une composante très remarquable, au sens littéral du terme, un trait assez grossier de couleur rouge vif, sûrement né d’un geste rapide intervenu alors que la toile était quasiment achevée.
Il vient envelopper 4 autres éléments essentiels à la compréhension complète du tableau : le trou dont je parlais précédemment dans lequel VM a inséré une sorte de polaroid centré sur une main, une inscription rouge « married to nature », une forme ovale dont je n’arrive pas à préciser l’identité et un cercle de couleur orange aux contours réguliers situé à l’extrême gauche du tableau.
Un choix très signifiant que celui d’isoler ces quatre composantes des autres éléments constituant la toile... Tentons d’en percer les motivations.
A - L’élément floral3 grandes fleurs rassemblées, de taille sensiblement différente traversent la toile de part et d’autre de sa hauteur, séparant le collage précédemment cité du reste du tableau. La présence de ces coquelicots marque une césure, de sorte que le personnage et le fond l’accompagnant demeurent exclus de l’entité nature qui prend place peu à peu à mesure que le regard du spectateur se déplace vers la gauche du tableau.
On apprécie la finesse des tiges qui contraste avec la forme plus lourde des fleurs elles-mêmes s’imposant sur toute la verticalité de la toile.
B – L’écrit "naturaliste"De nouveau le mot vient à l’appui du trait-peinture dont il accentue le sens et la portée. Le regard du spectateur sera d’autant plus pertinent qu’il connaîtra la motivation souveraine de l’artiste, percera la finalité de sa toile.
Que nous disent ces quelques lettres ? "Married to nature" c'est-à-dire marié à la nature. Idée force du tableau, VM emploie volontairement un champ lexical généralement réservé aux relations entre humains. « Marié à » recouvre plusieurs significations :
-
En communion avec : il exprime son approche très affective de l’élement naturel, son attirance à celui-ci, la plénitude de son union avec lui.
La nature = être très précieux à aimer ?
-
En interdépendance avec : il met l’accent sur un besoin de nature, refuge vital pour tous , surtout ceux pour lesquels l’anti-nature – ville et autres produits de l’homme – est une situation dont il faut se démarquer.
-
Engagé avec : c’est la notion de devoir envers les éléments naturels.
Emergence d’une responsabilité de l’homme sur le devenir de La nature - - qu’il doit avoir à cœur de préserver.
La nature = sujet très précieux de droit ?
C – La résurgence de l’hommeDu moins une de ses composantes.
Au centre de la toile, au milieu de la brèche occultant une partie du mur, une main de laquelle partent de longs filaments verts se rejoignant en haut du tableau pour former une sorte de "geyser de verdure".
La main, omniprésente dans de nombreuses œuvres de VM. Outil de création puisque sans elle pas de toile, pas de concrétisation pleine du bouillonnement intellectuel de l’artiste, pas de vrai passage à l’acte puisque qu’absence de moyen pour le réaliser.
Richesse contenue dans cette main qui manie si aisément toutes sortes de langages : secours des silencieux – les signes –, fidèle des poètes et autres écrivains, prolongement du peintre dont elle matérialise l’élan artistique.
Outil de destruction, car comme elle n’est pas mue de volonté propre mais reste soumise aux décisions de son "maître", elle peut être amenée à exécuter le pire... Désillusion donc...
Reste que dans cette toile la main semble plutôt être envisagée en un sens positif, elle est à l’origine de ce jaillissement verdoyant dépassant le semi-cercle formé par le trait rouge dont je traitais auparavant.
Cette explosion de "nature" ne peut être contenue, elle se déplie avec force et vient chapeauter de fait une partie de la toile.
D – Rondeurs et cyclesLa toile est affectée à deux reprises de deux cercles, l’un plus petit orange assez vif, l’autre plus important au contenu pastel proposant plusieurs teintes violacées entremêlés à certains endroits de touches + orangées.
Deux cercles, comme l’a très bien remarqué Waé, sûrement travaillés à la brosse ou à l’éponge.
Leurs contours sont réguliers et ces courbes agréables à l’œil contrastent avec le caractère plus grossier du semi-cercle déjà cité.
Ils apportent à mon sens un équilibre satisfaisant à la toile, une réelle impression de sérénité et de douceur très plaisants.
Pourrait-on aussi voir en eux une référence, même très implicite, aux rythmes cycliques de la nature ?
Notons que je n’arrive pas à déterminer ce que représente le dernier de ces quatres éléments positionné juste en dessous de l’inscription "married to nature".
E – Nature….Ecologie !Hormis le bouquet de fleurs, l’intégralité des "formes-nature" - faisant référence à, si vous préférez- sont situés à l’intérieur du semi-cercle rouge prenant lui-même la forme d’un demi-cœur. Celui-ci entoure, enveloppe, protège en somme ces "formes-nature".
On peut y voir une belle métaphore de l’extrême tendresse et affection que l’auteur de la toile semble porter à cette nature qu’il nous peint ici à sa manière, très abstraite et très intuitive car le geste, bien que savamment guidé, n’est pas réellement retravaillé.
Une invite à se re-plonger dans le berceau de toute vie...